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A vouloir trop bien faire…

Le mieux est, dit-on, l’ennemi du bien. La Commission de la Transparence aurait certainement dû méditer cet adage avant de rendre son avis sur l’empagliflozine, pour laquelle elle a jugé le service médical rendu « insuffisant » (en d’autres termes, ce médicament qui a reçu, entre autres, une AMM européenne, est considéré comme potentiellement toxique et n’offrant aucun bénéfice démontré). L’argumentaire est multiple : il est reproché à l’étude pivot EMPA-REG d’avoir été conçue en premier comme une étude de non-infériorité et non comme une étude de supériorité (rappelons que c’est à la demande de la FDA que les nouveaux anti-diabétiques doivent d’abord faire la preuve de leur innocuité cardiovasculaire) ; la Commission a aussi sélectionné des études provenant de bases de données administratives scandinaves (en oubliant toutes les autres) pour décrire un « signal » d’amputation des membres inférieurs plus élevé et un risque d’acido-cétose plus grand qu’avec les agonistes de GLP1 ; enfin, cerise sur le gâteau, la Commission considère, pour les diabétiques, « le besoin médical actuellement couvert par de nombreuses alternatives médicamenteuses ». Dans la foulée, la Commission souhaiterait réévaluer le service médical rendu de la dapagliflozine et de la canagliflozine.

Rappelons simplement quelques faits :

✔ toutes les études récentes continuent de montrer la valeur pronostique défavorable indépendante du diabète chez les coronariens, tels que traités actuellement, en France comme ailleurs. Comment, dès lors, affirmer que le besoin médical est couvert ?

✔ dans EMPA-REG, la recherche d’une supériorité statistique des bras empagliflozine groupés en comparaison du placebo était prévue a priori, à la condition que la non-infériorité soit d’abord démontrée sur le critère principal et le premier critère secondaire (ce qui a été le cas).

✔ le critère principal (décès cardiovasculaire, infarctus ou AVC) est réduit de façon significative (-14 %) ; la mortalité toutes causes est diminuée de 32 % (HR 0.68, IC 95 % 0,49-0,77) et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque de 35 % (HR 0.65, 0.50-0.85) ; les acido-cétoses sont numériquement plus fréquentes (1/2333 sous placebo, 4/4687 sous empagliflozine !…).

✔ dans EMPA-REG, DECLARE (dapagliflozine) et CREDENCE (canagliflozine) les amputations ne diffèrent pas par rapport au placebo. Elles sont plus élevées avec la canagliflozine dans CANVAS (6/1000 versus 3/1000), mais pas dans OBSERVE- 4D, une très large base de données nord-américaine.

✔ dans l’ensemble des études, les acido-cétoses sont effectivement plus fréquentes sous gliflozines, mais il s’agit d’événements rares (environ 2 pour 1000 sous traitement versus 1 pour 1000 sous placebo).

✔ l’insuffisance cardiaque est réduite d’environ 30 % dans toutes les études, la fonction rénale est améliorée dans CANVAS, CREDENCE (canagliflozine) et DECLARE (dapagliflozine).

✔ enfin, une simple méta-analyse des grandes études randomisées (EMPA-REG, CANVAS, DECLARE, CREDENCE) montre une diminution très signifi cative, de 15%, de la mortalité globale (OR 0.85, IC 95 % 0.78-0.92).

tableau édito

Ainsi, on ne peut qu’être interloqué de voir la Commission de la Transparence préférer ne pas rembourser un médicament d’une classe thérapeutique qui réduit la mortalité globale, pour « éviter » un surrisque supputé d’amputation relevé dans une étude d’observation, dont les auteurs reconnaissent eux-mêmes les limites méthodologiques… En la matière, le mieux est certainement l’ennemi du bien. Comme on vient de s’en apercevoir de façon dramatique : les rénovations entreprises dans la cathédrale Notre-Dame ont finalement abouti à la catastrophe que l’on sait…

Nicolas Danchin
Rédacteur en chef

Liens d’intérêt de l’auteur : Subventions de recherche : Amgen, Astra-Zeneca, Bayer, Daiichi Sankyo, Eli-Lilly, MSD, Pfizer, Sanofi
Honoraires pour conférences/consultance : Amgen, Astra-Zeneca, Bayer, BMS, Boehringer-Ingelheim, Lilly, MSD, Novo-Nordisk, Pfizer, Sanofi , Servier